Gestes thoraciques d’exception en médecine d’urgence

Par cet article nous allons aborder ce que l’on considère à l’heure actuelle comme des « gestes d’exception » en médecine d’urgence, dont l’usage n’est pas forcément entré partout dans les mœurs notamment pour les plus invasifs d’entre eux, mais qui le sera peut-être dans un avenir proche ou lointain.

Ces gestes invasifs font souvent planer un doute dans l’esprit du médecin:

– Le geste en lui-même est-il justifié, et suis-je défendu par les données de la science ?

– Suis-je un cowboy, outrepassant mes attributions en voulant le faire moi-même au lieu de le laisser à un chirurgien ?

Nous essaierons de répondre à ces interrogations à travers l’article.

L’abord thoracique d’urgence:

 

Les dernières recommandations [1] en la matière viennent conforter des avis d’experts émis dès 2010 et publiés par la SFMU (bien que retirés des serveurs depuis la RFE de cette année) et qui autorisaient déjà l’urgentiste à pratiquer des abords pleuraux de sauvetage dès le préhospitalier. On a entendu de nombreuses fois en réunions régionales et staff divers, des praticiens ou patrons railler ces méthodes ces dernières années, arguant que le spectaculaire n’était pas synonyme d’utilité. Mais que disent désormais les preuves ?

 


 

1) L’exsufflation à l’aiguille:

 

En premier lieu il y a un geste simple, toujours recommandé en 2015 bien qu’échouant (trop) régulièrement, c’est l’exsufflation à l’aiguille. Le principe est très simple, pas la peine de tourner autour du pot pour un adulte allez au plus gros (14G – cathlon orange) à la jonction 2e espace inter-costal et ligne médio-claviculaire ou alors au 4e ou 5e espace intercostal sur la jonction ligne axilaire / ligne mamelonnaire , éventuellement le vide à la main ou avec un peu de NaCl 0,9% dans la seringue afin de voir remonter les bulles, avant de désadapter.

 

Sans titre

 

 

Il s’agit d’un acte:

  • Moins risqué qu’on ne le pense: il demeure le risque d’attraper l’artère mammaire interne (pour l’éviter prenez soin de vous placer en dehors de la ligne mamelonnaire lorsque vous êtes au 2e espace). Pour ce qui est des dégâts sur un poumon sain par une potentielle ponction réalisée en excès, des séries de scanner post-mortem réalisés sur des patients décédés pour accident de plongée et ayant bénéficié entre autre d’une exsufflation, montrait des dégâts pulmonaires minimes (de l’ordre de la bulle, ou de la micro-contusion pulmonaire) là où l’aiguille était passée (hélas cette série n’étant pas publiée je ne peux pas vous donner de références). Il demeure cependant des reports de pneumo et hémothorax dans la littérature [2].
  • A fort risque d’échec: c’est pour ça que nous parlions d’emblée d’un 14G et d’une longueur suffisante (65% d’échec avec KT de 14G de 3,2cm, 4% d’échec avec un KT de 14G de 4,5cm [3])… même bien réalisé, ce geste trouve vite sa limite car le KT est tout simplement trop court pour peu que la victime soit obèse ou simplement costaud au niveau des pectoraux, regardez une coupe de scanner au niveau pectoral pour vous convaincre que le poumon n’est pas à la peau. Par ailleurs, tout acte réussi est très à risque de voir le dispositif s’obturer à nouveau du fait de la minceur et de la fragilité du cathéter pouvant bouger, se couder, s’obturer, surtout si le geste un peu traumatique a ramené un peu de sang dans la lumière [4]. Personnellement, je ne fais plus d’exsufflations à l’aiguille. Si je pose l’indication de ce geste, c’est que l’urgence est suffisante pour pratiquer un geste plus complet, plus efficace et abouti sans perdre davantage de temps et sans sur-risque avéré pour le patient.

Reprenons donc un peu de recul, et visualisons dans un premier temps et passé la classique exsufflation à l’aiguille, les deux principaux gestes d’exception dont nous avons fait l’amorce plus haut: la thoracostomie, et la thoracotomie. Chacun de ces gestes même s’il ne diffère que d’une lettre (aidant à la confusion entre les deux termes et déclenchant une crainte religieuse des deux) répond à un objectif totalement différent même s’il commence à peu près de la même manière.

 


 

2) La thoracostomie de sauvetage:

 

Ce geste consiste en un abord pleural très rapide. Pour ce faire, il faut en premier lieu se placer dans la zone de sécurité délimité par la ligne mamelonnaire en bleu), et l’espace sous-axilaire (délimité en avant par le grand pectoral en rouge, en arrière par le grand dorsal en jaune).

 

abordpleuralZone cadrillée: zone de sécurité.

Pointillés verts: lieu de l’incision.

 

L’incision se fera à la lame au 4e ou 5e espace, en accompagnant le trajet inter-costal, trois ou quatre centimètres de long suffisent juste de quoi faire passer un doigt. Pour faciliter l’abord jusqu’à la plèvre on pourra alors utiliser une pince à disséquer afin d’être moins traumatique sur les muscles (mais vu l’urgence, généralement on s’en passe), plèvre qu’on percera ensuite simplement au doigt. Ici pas de pose de drain, pas de matériel d’aspiration, le but est simplement d’évacuer une surpression en remettant la cavité pleurale au contact de la pression atmosphérique. Le matériel nécessaire est plus que restreint et tient dans la main.

Le but unique de ce geste est de lever l’urgence compressive. Son indication est simple:

  • toute haute suspicion clinique de pneumothorax compressif.
  • tout ACR traumatique dès la phase initiale.

Il se fera du côté parlant cliniquement (asymétrie de soulèvement de la poitrine, thorax enfoncé ou emphysème sous-cutané) ou de manière bilatérale à l’aveugle dans les cas extrêmes (ACR sur un supposé épanchement suffocant, ou détresse majeure ne répondant pas à l’abord pleural du premier côté). C’est un geste sûr car pratiqué dans le triangle de sécurité et n’utilisant pas d’outil vulnérant (passage de la plèvre au doigt).

 

*Pourquoi un abord bilatéral systématique en cas d’ACR traumatique ?

 

Pour bien se le figurer il faut une fois le patient intubé (donc la cause obstructive haute écartée) se poser la question de la cause de l’ACR. Chez un traumatisé grave qui dix minutes auparavant marchait, parlait, et se portait au mieux, on pourra principalement suspecter:

  • L’exsanguination/hypovolémie : en quel cas il va hélas devenir compliqué de le récupérer, même si des mesures extrêmes peuvent être tentées, à voir plus loin.
  • Les lésions du système nerveux central : suicide par arme à feu, trauma crânien désastreux sur accident haute vélocité… là aussi rien de miraculeux à tenter.
  • Le pneumo (et / ou hémo) thorax compressif.

Pourquoi se jeter immédiatement sur cette dernière cause, à l’aveugle ? Parce que dans les autres cas de toute manière notre patient va très probablement décéder. Parce que le pneumothorax est une cause curable extrêmement fréquente dans ce contexte et facilement réversible. Et enfin parce que c’est une procédure très rapide à écrasante positivité de la balance bénéfice/risque. En somme, parce que c’est souvent ça ou rien.

 

*Ce geste est-il désormais défendu par la littérature ?

 

extrait_the-evil-dead_3

 

Il l’était depuis déjà bien des années, des équipes hurlant sur les toits à pure perte les bons résultats de leur séries de thoracostomies préhospitalières lorsqu’on publiait en parallèle les statistiques très médiocres d’exsufflations à l’aiguille, à l’image de cette équipe médicale héliportée italienne qui publiait en 2006 une étude [5] relatant trois ans d’applications régulières de thoracostmomies préhospitalières chez des patients traumatisés graves hautement suspects de pneumothorax. Sur un total de 55 patients, on retrouvait 91,5% de pneumo ou hémopneumothorax, et une survie globale de 72,7%. Leur conclusion, reprise en 2010 par la SFMU fut la suivante:

« La thoracostomie préhospitalière simple, au doigt, sans pose de drain thoracique, est une technique sûre et efficace. »

C’est effectivement un geste extrêmement rapide, qui ne nécessite pas de matériel (une lame pour l’abord pleural, votre doigt, puis un pansement « trois cotés » fait de compresses et sparadrap afin de protéger sans être occlusif), et qui peut immédiatement lever la détresse de votre patient voire le récupérer d’un ACR par pneumothorax compressif. La RFE de la SFAR de février 2015 [1], a enfin validé ce geste dans l’arsenal thérapeutique de l’urgentiste.

« Les experts recommandent une décompression en urgence en cas de détresse respiratoire aiguë ou hémodynamique avec forte suspicion de tamponnade gazeuse (G1+) »
« Les experts suggèrent une thoracostomie par voie axillaire en cas d’arrêt cardiaque et/ou en cas d’échec de l’exsufflation (G2+). »
 *
Les experts ont fait le choix de maintenir l’exsufflation dans leurs recommandations sans justification particulière. Libre à vous de tenter le geste avec lequel vous êtes le plus confortable, mais je pense sincèrement que la barrière à la réalisation d’une thoracostomie simple est avant tout mentale. C’est un geste sûr, qui fonctionne beaucoup mieux (en particulier si présence d’une part hémorragique dans l’épanchement gazeux), et gagnant à peu près sur tous les fronts face à sa technique cousine à l’aiguille.

3) La thoracotomie de sauvetage:

 

Notez bien cette différence de lettre, ce « s » qui saute entre les deux termes, il est important.

La « resuscitative thoracotomy », geste mythique qui a fait les beaux jours de la série américaine « Urgences » et qui est probablement la quintessence d’invasivité d’un geste technique d’urgence, a vu sa position consacrée par la RFE 2015, même si ses indications et sa réalisation n’ont pas changé depuis bien des années. Malgré la situation catastrophique dans laquelle ce geste est systématiquement tenté, son intérêt en terme de survie est prouvé, et la principale polémique quant à son utilisation est le risque notable d’accident d’exposition au sang chez le soignant par plaie via le scalpel ou un éclat de côte.

« Hésiter ne serais-ce qu’une poignée de secondes garantis l’échec ou une -encore plus- faible survie du patient. Néanmoins, toute macabre et stressante que puisse être cette procédure, elle a un réel potentiel pour sauver des vies. »

Larry Mellick, MD, Professor of Emergency Medicine Georgia Health Science Univesity

 

 

 

*Quelles sont les indications de la thoracotomie ?

 

Il y en a probablement plus que l’on veut timidement lui attribuer pour le moment, mais les équipes entraînées  hésitent de moins en moins, en particulier dans certains cas [6]:

  • Indication absolue: patient moribond après trauma pénétrant du thorax si présence de signes de vie: glasgow >3, réactivité pupillaire, ventilation spontanée, perception d’un poul carotidien, TA perceptible ou mesurable, mouvement des extremités, activité électrique cardiaque même sans poul.
  • Indication probable: ACR sur trauma pénétrant du thorax sans signe de vie, trauma non pénétrant du thorax avec signe de vie ou venant de s’arrêter devant vous. Trauma extra-thoracique avec ou sans signe de vie.

En somme, chez un patient débarquant avec une plaie par arme à feu ou arme blanche dans l’aire cardiaque pour peu qu’il soit choqué ou en ACR, l’indication de thoracotomie se justifiera dans presque tous les cas. On voit même dans les indications des causes non directement thoraciques tant les possibilités d’action vont être importantes par cette voie d’abord.

Le but de ce geste est la levée des urgences compressives (péricardique, pleurale), l’hémostase (d’une plaie du cœur ou du poumon), et le rétablissement d’une hémodynamique.

 

*Comment se déroule une thoracotomie, et quel est le but de chaque étape ?

 

Le but de ce geste est d’éliminer et le cas échéant traiter toutes les causes curables d’ACR traumatique ou en état de choc pré-mortem suite à un trauma.

Succinctement:

  • L’incision: on réalise un abord thoracique au 5e espace intercostal afin de ne pas être sur la ligne mamelonnaire (qui est au 4e espace), mais cette fois en débutant systématiquement à gauche, le principe étant d’ouvrir totalement le thorax de la ligne axillaire jusqu’au sternum. L’incision se fait largement en premier lieu à la lame, puis aux ciseaux pour découper les chefs musculaires. Une fois l’ouverture complète réalisée, on dispose un écarteur de côtes de type Finochietto pour maintenir l’abord ouvert. On a alors accès aux structures anatomiques (et par ce geste, déjà, on a réalisé l’abord pleural de la thoracostomie si elle n’avait pas été faite).
  • La péricardotomie: on va tout d’abord refouler le poumon gauche pour visualiser le péricarde. Une fois en vue, on procède à l’incision du péricarde ce qui aura pour effet immédiat de résoudre une potentielle situation de tamponnade hématique compressive. On prendra bien soin d’éviter le nerf phrénique serpentant le long du sac péricardique lorsqu’on le découpe, et si le nerf est peu ou pas visible, une incision la plus antérieure possible du sac péricardique limitera le risque de lésion accidentelle. Si il n’y a pas de sortie de sang à l’incision, la potentielle hémorragie n’est pas cardiaque, et la cause de la détresse n’est pas une tamponnade.
  • Une fois le cœur visible grâce à l’incision on va rendre disponible deux manœuvres: la suture rapide d’une éventuelle plaie cardiaque par des points séparés (dans l’attente, une éventuelle plaie cardiaque peut être bouchée au doigt ou par une sonde de Foley peu gonflée, <10mL, pour ne pas trop limiter la cavité ventriculaire), et le massage cardiaque interne à deux mains disposées en pince-crocodile.
  • Enfin, l’abord intra-thoracique nous permet une dernière manœuvre et non des moindre: le clampage de l’aorte thoracique descendante, en prenant bien soin d’éviter de clamper l’oesophage.

Cette manœuvre de clampage est l’aboutissement final de ce qu’imaginaient les personnes qui ont crée le pantalon anti-choc. Limiter l’espace volémique à perfuser au strict minimum vital, le coeur (via les coronaires), et le cerveau (via les deux troncs artériels donnant les carotides, droite via la sous-clavière, et gauche via la carotide elle-même). Tout le lit vasculaire d’aval est temporairement sacrifié pour la seule survie du patient.

=> Le clampage de l’aorte traite l’hypovolémie / le désamorçage hémodynamique.

Voici à mon sens le meilleur résumé graphique de la procédure, on le doit au mystérieux « secret chest cracker » relayé par le twittonaute urgentiste écossais @learnEDjon et le blog EMcrit.org:

CMx4chWWsAAFnz8.jpg-large

 

*La thoracotomie doit vraiment être bilatérale à chaque fois ?

 

L’étape du dessin ci-dessus que l’on peut discuter sur une « resuscitative thoracotomy » est le clamshell systématique, c’est à dire la thoracotomie complète bilatérale se rejoignant au centre comme réalisée habituellement par les chirurgiens cardio-thoraciques.

L’intérêt de l’abord thoracique droit est d’éliminer l’urgence pleurale compressive, et de localiser une potentielle cause hémorragique pulmonaire droite. Or cette information peut être donnée comme on l’a vu au chapitre précédent par une simple thoracostomie au doigt. On peut éventuellement se contenter lorsqu’on procède au geste du côté gauche, de positionner un autre praticien du côté droit qui réalisera une simple thoracostomie au doigt au même moment, plus ou moins complété par la pose d’un drain thoracique. Si il n’y a aucun retour de sang, on sait que l’étiologie du problème n’est pas une hémorragie thoracique droite et il n’y a pas d’urgence immédiate à bilatéraliser la procédure complète, qui pourra être faite au bloc par les chirurgiens ( et quand bien même, en cas de cause thoracique droite, si on ne sait pas prendre en charge la lésion par exemple pulmonaire, on pourra se contenter de clamper l’aorte et indiquer au chirurgien la localisation du saignement ).

Une autre astuce donnée par Scott Weingart du blog EMcrit dans son podcast [7], consiste lorsqu’on est seul praticien sans possibilité d’aide du côté droit du thorax, à simplement partir de la thoracotomie gauche et sans changer de côté, de l’intérieur, aller percer avec deux doigts la paroi inter-thoracique juste derrière le coeur afin de rejoindre les deux hémi-thorax. Là aussi le constat est immédiat: si aucun retour de sang la cause n’est pas là. Sinon: on a la réponse à la question de localisation du saignement.

 

*Echographie ou pas ?

 

Vous l’aurez remarqué, difficile pour un urgentiste moderne de se passer de l’échographie. Citée comme le prolongement de l’examen clinique du patient ou encore le « stéthoscope du 21e siècle », son usage est indispensable en particulier chez le patient critique.

Une étude récente a démontré le bénéfice potentiel d’une FAST-echo dans l’indication ou pas d’une thoracotomie de sauvetage [8]. L’observation prospective faite sur une série de 187 patients en ACR traumatiques recherchait chez chacun un épanchement péricardique (recherche d’une cause curable qui pourrait profiter d’une thoracotomie), et la visualisation d’une activité cardiaque (extension échographique du principe des « vital sign » cliniques vus plus hauts). Le constat semble sans appel: si absence d’épanchement péricardique et surtout absence de mouvement cardiaque, la survie était de zéro. Chez les autres, la survie était de 3,2%.

L’avantage de ces critères sont doubles:

  • Le renforcement positif: les signes sont là, cela vous renforce dans votre conviction pour y aller (et il en faut de la conviction pour un tel geste).
  • Le renforcement négatif: les signes sont absents, je peux m’abstenir en toute légitimité et sans regrets (et peut-être éviter un accident d’exposition au sang inutile).

Cette étude a provoqué quelques réactions, nous citerons celle du norvégien Thomas D, blogueur sur Scancrit.com [9] pour qui un acte aussi stressant et intense qu’une thoracotomie en déchocage n’est pas forcément le moment où il pensera à prendre une sonde d’échographie (d’autant que ça mobilisera un praticien et fera potentiellement perdre du temps si la procédure est nécessaire), et pour qui les critères de faire ou ne pas faire la procédure restent avant tout cliniques. Il voit surtout un avantage dans les critères de renforcements positifs à savoir une équipe globalement réticente à faire ce geste, voyant des signes de vitalité sur l’ETT, et décidant donc d’y aller au lieu de déclarer le patient décédé.

 

*La resuscitative thoracotomy (RT) doit-elle faire partie de l’arsenal d’un urgentiste ? / Quelle stratégie aujourd’hui sur l’ACR traumatique ?

 

Ce geste qui est maintenant régulièrement pratiqué en France en salle de déchocage, l’est quasi-systématiquement par le chirurgien thoracique / chirurgien général de garde sur le trauma center. Il n’est pour l’instant pas dans la culture française de le faire réaliser par l’urgentiste.

La RT dès le préhospitalier est une procédure cependant défendue bec et ongle notamment par les HEMS de Londres qui publiaient en 2011 déjà une étude retrospective [10] de leur activité de Trauma Team médicalisée héliportée. Sur un effectif de 71 patients poignardés dans le thorax avec ACR à la clé, 13 (18%) survivaient à la procédure en extrahospitalier, 7 procédures étaient pratiquées par des urgentistes et 6 par des anesthésistes, l’étiologie de l’ACR était une tamponnade dans tous les cas de survie. Au final, 11 avaient une évolution neurologique favorable (notamment car ACR devant l’équipe et prise en charge sans délai).

Cette étude s’étalait sur 15 ans, trahissant un nombre très réduit de procédures, et laissant planer le doute sur l’entraînement des praticiens à réaliser un geste aussi technique et stressant lorsqu’ils ne peuvent l’effectuer qu’une ou deux fois par ans et par praticien dans le meilleur des cas.

A cela, les anglo-saxons ont une réponse: la simulation. La qualité des mannequins modernes et le développement d’un réel marché de la simulation de réanimation lourde permet de reproduire des situations incluant la RT, collant au plus près à la réalité et mettant en scène tous les outils utiles à une telle procédure, portés entre autre par des associations de formations à but non lucratifs telles ATACC en Angleterre.

 

thoraco1


 

thoraco2

Démonstration sur mannequin de simulation des HEMS de Londres ( Helicopter Emergency Medical Service ) ou « Air Ambulance », entièrement dédiés à la prise en charge des traumas. Dans le modèle anglo-saxons, cette médicalisation de l’avant ne se justifie que pour les traumas, contrairement à notre vision SAMU/SMUR médicalisant toutes les urgences vitales avérées ou potentielles et même au delà.

 


 

mannequin2

 

Une formation de l’association ATACC à la resuscitative thoracotomy préhospitalière, avec une sacoche spécifique compacte contenant l’ensemble du matériel nécessaire à un tel geste.


 

 

*Alors, les anglo-saxons en font-ils trop ? Cette pratique est-elle aberrante ? 

Les urgentistes surtout américains, britanniques et australiens réalisant ce geste le décrivent comme « pas si difficile » avec un entraînement adapté. Le regretté John Hinds, urgentiste/réanimateur irlandais fervent défenseur de l’ET, y posait une seule condition. « Make your intentions honorable ». Faites-le parce qu’il faut le faire, pas parce que c’est fun. Mais quand il faut le faire, surtout, faites-le.

Parce que, que se passe-t-il vraiment lorsqu’un SMURiste français se retrouve au détour d’une rue face à un patient qui est victime d’un trauma pénétrant du thorax (arme blanche / à feu) et dont le cœur s’arrête ?

Il suit les recommandations de l’ALS anglo-saxon (Advanced Life Suport) identiques aux nôtres, il pratique donc une RCP spécialisée classique avec intubation, massage, éventuellement des amines… il est bien clair entre nous que cette stratégie aux vues des circonstances, n’a à peu près aucune chance d’aboutir et n’est absolument pas adaptée à la physiopathologie de ce genre d’ACR. Si il est motivé et surtout à jour, il pratiquera peut-être une thoracostomie bilatérale ce qui laissera peut-être une toute petite chance de survie en plus, probablement très minime puisqu’on a vu que tous les survivants de telles situations en préhospitalier l’étaient sur des tamponnades et non des urgences pleurales compressives. Alors quoi, une ponction péricardique à la seringue peut-être ? Illusoire, des observations ont montré que du sang cailloté systématiquement présent empêchait toute ponction efficace, et retardait largement la réalisation du geste définitif qui lui-même ne peut souffrir du moindre délai [11].

Il est maintenant admis que l’ALS classique n’est pas adapté à la prise en charge des ACR traumatiques en particulier pénétrants du thorax [12]. Ces anciennes pratiques sont remplacées par des algorithmes spécifiques incluant la thoracotomie de sauvetage, qui est désormais pratiquée de manière non exceptionnelle dans les trauma center de niveau 1 en France (la dernière dans mon département remonte à un mois, elle a abouti à la survie de la victime). Il est évident qu’en intrahospitalier sur un plateau technique adapté, c’est un chirurgien thoracique ou chirurgien entraîné au damage-control qui doit réaliser cette procédure exceptionnelle.

Dans le cas du préhospitalier, si ce geste est nécessaire, c’est à priori que le patient ne vivra pas jusqu’au transport dans un éventuel déchocage. Ce constat peut largement justifier la décision prise par certains pays pour réaliser ce geste en préhospitalier, d’autant que leurs résultats sont franchement intéressants. La question de faire réaliser ce geste par un urgentiste se pose aussi dans n’importe quelle situation hospitalière (trauma center de niveau 2 ou 3) recevant un tel patient par un concours malheureux de circonstance, avec chirurgien non directement sur place et ACR dans le déchocage, de même que pour tout médecin militaire de l’avant, dont les capacités d’extractions de victimes sur plateau technique sont parfois très retardées. La mortalité est de toute façon de 100% ou avoisinant en cas contraire.

 

*Alors au final, chez nous il faut le faire ou pas ?

 

Une telle procédure ne peut s’envisager en préhospitalier que si elle s’accompagne d’une solide formation, ayant recours par exemple à la simulation et au « drill » (répétitions) sous stress et dans différentes situations, afin de se familiariser parfaitement avec les étapes et le matériel.

Ce geste est officiellement non recommandé en préhospitalier d’après la RFE SFAR 2015 sus-citée [1], sans justification spécifique, et on peut les comprendre.La survie est décrite cependant comme de 8,8% après une resuscitative thoracotomy en déchocage / bloc.

La justification scientifique/médicale en faveur de ce geste en préhospitalier est manifestement déjà là. Le franchissement du pas peut sembler surtout psychologique. Difficile de recommander un geste aussi invasif, traumatisant autant pour l’effecteur que pour le public (s’il y en a), et tout ça pour une survie qui sera quoiqu’il arrive faible puisque le contexte est systématiquement catastrophique.

 

meme

 

Vous l’aurez compris, c’est surtout une affaire de choix, que certains pays ont déjà fait, pas le nôtre. Ne tentez pas ce geste chez vous même si ce billet vous a plu et/ou convaincu, toute jurisprudence est possible en particulier quand une RFE de l’année même, recommande de ne pas le faire.

Mais j’espère que ces réflexions auront entretenu le débat.

 

Conclusion en trois schémas:

 

Ces schémas vont proposer un positionnement des gestes discutés au dessus dans l’ACR traumatique en France:

 




schematrauma3

 


 

Ce billet est dédié à la mémoire du Dr John Hinds, 1980 – 2015               Podcast hommage Emcrit.org


 

Biblio:

 

 

images

 

 

(1) RFE SFAR 2015 – RFE Traumatisme Thoracique : Prise en charge des 48 premières heures

(2) Waydhas C, Sauerland S. Pre-hospital pleural decompression and chest tube placement after blunt trauma: A systematic review. Resuscitation 2007;72:11-25

(3) Ball CG et all. -Thoracic needle decompression for tension pneumothorax: clinical correlation with catheter lenght, Can J Surg. 2010 June; 53(3): 184-188

(4) R Jones, J Hollingsworth, Tension pneumothoraces not responding to needle thoracocentesis, Emerg Med J 2002;19:176-177

(5) Masarutti, D., Trillo, G., Berlot, G., Tomasini, A., Bacer, B., D’Orlando, L., Viviani, M., Rinaldi, A., Babuin, A., Burato, L., & Carchietti, E. (2006) Simple thoracostomy in prehospital trauma management is safe and effective: a 2-year experience by helicopter emergency medical crews. European Journal of Emergency Medicine. 13. 276-280

(6) Mark J. Seamon, Elliott R Haut, An evidence-based approach to patient selection for emergency department thoracotomy: A practice management guideline, Trauma Acute Care Surg. 2015 Vol 79, Number 1

(7) http://emcrit.org/podcasts/procedure-of-thoracotomy/k

(8) FAST Ultrasound Examination as a Predictor of Outcomes After Resuscitative Thoracotomy: A Prospective Evaluation from the Eastern Association for the Surgery of Trauma

(9) http://www.scancrit.com/2015/09/17/fast-thoracotomy/

(10) Davies GE, Lockey DJ, Thirteen survivors of prehospital thoracotomy for penetrating trauma: a prehospital physician-performed resuscitation procedure that can yield good results, J Trauma 2011 May;70(5):E75-8

(11) Wise D, Davies G, Coats T, Lockey D, Hyde J, Good A, Emergency Thoracotomy: « how to do it » , Emerg Med J 2005;22:22-24

(12) Smith JE, Rickard A, Wise D, Traumatic cardiac arrest, J R Soc Med. 2015 Jan;108(1):11-6.

Description illustrée (thoracotomie): http://thoracotomie.com/2011/02/28/thoracotomie-antero-laterale-de-sauvetage-ou-de-reanimation/

 

7 réflexions au sujet de « Gestes thoraciques d’exception en médecine d’urgence »

  1. Bonjour , tout d’abord merci pour votre site où tous les articles sont pertinents ,ultra pédagogiques et où aucun détail pratique d’importance n’est négligé. Je suis un grand fan d’Emcrit et de Legazier ,vous êtes dans la même cour !
    J’exerce en milieu minier isolé.Ma question est relative à l’exsufflation et au drainage de tamponade traumatique.
    Je partage votre réserve par rapport à l’exsufflation à l’aiguille. Nous avons été livrés d’un kit de thoracocentèse type Tûrkel 8FR (« safety thoracocentesis-paracentesis system »). Ma question est : ce dispositif conçu pour une exsufflation (j’aurais tendance à opter pour la voie axillaire) pourrait-il être envisagé pour une ponction sous-xyphoidienne de tamponade ,toujours dans un contexte de trauma ,pénétrant ou non ,menaçant à court terme le pronosctic vital.Donc :un dispositif « tout terrain ». Merci de votre retour

    • Bonjour François merci pour le commentaire,

      Tout à fait, le kit de thoracocentèse fait partie du matériel de péricardocentèse de fortune « idéal » à défaut d’un kit dédié, nous utilisons préférentiellement aux urgences des voies centrales pour cathétériser le péricarde en sauvetage à défaut du kit spécifique, ou à défaut des KT pleuraux par méthode de Seldinger que nous trouvons la plus sûre.

      En revanche la problématique est de poser l’indication. En préhospitalier la clinique d’une détresse sur tamponnade (détresse hémodynamique et signes de coeur droit aigu), est sensiblement la même qu’un pneumothorax devenant compressif, chez des patients souvent atteints des deux en même temps, et faire la part entre les deux nécessite un outil simple mais indispensable qu’est l’échographie ultraportative (taille d’un smartphone ou d’une tablette).

      Si l’apprentissage de l’échographie au sens large est long est délicat, une formation FAST-écho est très rapide et la courbe d’apprentissage très raide permet de reconnaître un épanchement et sa localisation avec un investissement minimal en temps, et très correct en moyens financiers (les modèles ultra-portatifs les plus courants tels le Vscan V2 ou d’autres, commencent à vieillir et sont de plus en plus abordables, pour quelques milliers d’euros, si vos structures ne peuvent vous en fournir d’office ce qui est pourtant de plus en plus fréquent en milieu isolé).

      En contexte aigu, la ponction via ce drain de quelques centaines de mL initialement manuellement à la seringue de 50cc si nécessaire, permet en quelques dizaines de secondes à quelques minutes, de lever la détresse hémodynamique de manière quasi instantanée, en attendant le geste chirurgical rapide. Nous en avons eu l’exemple il y a quelques mois dans notre déchocage.

  2. Bonjour & merci pour votre réponse prompte et précise .Cela me rassure et me conforte dans l’usage « dèvié » de ce kit, qui me paraissait intuitivement approprié. Nous avons effectivement accès au Fast echo et il serait sûrement temps d »un « upgrade » de notre équipement vers l’ultra-portable . Mais c’est une autre histoire . Encore merci.FB

  3. Salut !

    J’ai une question à vous poser. Même si la thoracotomie de sauvetage n’est pas recommandée en pre-hospitalié dans la pratique courante, est ce que vous êtes formé en tant qu’urgentiste a sa réalisation ? De plus, est ce qu’en France, la thoracotomie de sauvetage est un geste pratiqué régulièrement ( par le chirurgien) ou cette pratique n’est en réalité quasiment jamais réalisée en France ?

    Merci d’avance et bonne journée

    • Bonjour, non les urgentistes français n’y sont pas formés, mais tout urgentiste français est libre par lui-même d’aller se former par exemple à la ATACC Academy en Angleterre, certains l’ont fait, pour la culture. En revanche les différents gestes que synthétisent la thoracotomie sont séparément pratiqués par les urgentistes en France, comme la thoracoStomie (fréquemment, sur tous les ACR traumatiques en préhospitalier notamment), ou la ponction péricardique de sauvetage (beaucoup plus rarement, 3 ou 4 fois par an par un urgentiste dans mon centre) lors de tamponnades en pré-ACR.

      La thoracotomie de sauvetage « clamshell » complète, est pratiquée régulièrement en France par le chirurgien à l’arrivée au déchocage dans toutes les régions de France, c’est un gold standard dans un certain nombre de situations de traumatologie grave, présent dans les recommandations de bonne pratique de ces patients.

  4. Bonjour,

    Je vous remercie pour votre réponse, je ne l’avais pas vu ! Vous attisez ma curiosité ! J’ai donc quelques autres questions concernant cette pratique.

    Il me semble normal que dans un centre de trauma de niveau 1, ce soit un chirurgien qui pratique cette procédure. Cependant, comment cela se passe-t-il lorsque dans ce genre de centre, le chirurgien n’est pas présent au dechocage lors de l’arrivée du patient, l’urgentiste/ le reanimateur commence la procédure ou tout le monde attend l’arrivée du chirurgien ?…

    De plus, dans les trauma center de niveau 2 ou 3, lorsque ce genre de patient arrive au dechocage, il n’y a pas de chirurgien présent tout le temps, dans ce cas là, l’urgentiste ou le reanimateur fait la procédure ou non ?

    Savez-vous si cette procédure est souvent réalisée par les médecins militaires de l’avant ? En effet, il est souvent difficile d’avoir un chirurgien dans l’heure qui suit, si c’est la seule procédure restante pour maintenir le patient en vie jusqu’au bloc, il me semblerait assez judicieux que les médecins de l’avant soit formé à ce genre de procédure.

    Enfin, au vue des résultats bénéfiques rapporté par nos confrères anglo-saxons, pensez-vous qu’à l’avenir, cette intervention puisse rentrer dans l’arsenal de l’urgentiste/ reanimateur français, en pre hospitalier ou au dechocage ? Parce qu’il est évident, dans le cadre de plaie cardiaque et des gros vaisseaux, que l’Arsenal actuellement disponible pour l’urgentiste est faible et que cette procédure avec de l’entraînement , n’est pas si complexe à faire et extrement salvateur.

    Etes- vous urgentiste ? Je serai curieux de pouvoir échanger avec vous !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *